Une rentrée banale

Publié le par othmane

Une rentrée dans le désert pédagogique

 

Voici un texte banal comme toutes les rentrées. Il servira je l'espère à mieux poser ma réflexion sur une page blanche bien silencieuse, elle.

 

Un mois déjà.

Un mois qui m'embarqua loin de mes certitudes pédagogiques. Encore une fois!

L'année dernière ce fut la découverte et la vie à l'atelier relais. Je me suis dit, c'est bon, les CM2 ce sera du gâteau. Mes fondamentaux étaient posés dans mon esprit pour vivre au cœur des savoirs, au cœur de la coopération des enfants:

  • Quoi de neuf? 

  • Fabrication de petits livres et textes libres

  • Journal de classe

  • Projet astronomie

  • Dessin libre

  • Conseil.

     

« Malheureusement, ma pyramide virtuelle pédagogique fut installée sur des sables mouvants.

Oui, des sables mouvants.

La pyramide s'enfonçait dans les méandres des problèmes familiaux, des problèmes personnels, des troubles du comportement. On avait omis de me dire que cette classe avait l'année dernière une enseignante, dépressive, remplacée par un jeune collègue qui fut empêtré à son tour dans cette classe sableuse.

La première semaine me mit dans le bain ou plutôt dans le sable avec une rapidité déconcertante.

Insultes en pleine classe, refus de travail (« j'aime pas l'Histoire, c'est nul), coups de poing dans la figure à la récré comme rituel. Les punitions pleuvent pour me protéger. Copier des lignes pour affirmer son identité d'enseignant. Leur montrer que je suis le chef architecte de la pyramide!

On a perdu un temps fou dans la discipline...Cela ne marchait pas. Un tiers de ma classe peut être qualifié de perturbateurs. 33% d'enfants à redresser.

J'en ai eu pour mon grade, une petite fille toute calme avec ses couettes me tint tête magistralement après avoir dit avec sa douce voix à son camarade « deux têtes de plus qu'elle » un « ferme ta gueule venu des profondeurs de je ne sais pas quoi en elle ». Elle le répétait en boucle. On m'avait dit que depuis le CP elle avait des comportements étranges...J'avoue que j'ai passé quinze bonnes minutes à lui démontrer la nocivité psycho-sociale de ce nom d'oiseaux. Elle me tenait toujours tête: non ce n'est pas un gros mot, je le dis à la maison. J'ai appelé son père, il m'a demandé si c'était moi la victime et que ce n'était rien de le dire à un camarade. « J'ai calé l'affaire » comme on dit.

Une autre fois, elle me jeta un « je m'en fiche , laisse moi tranquille », elle ne voulait pas s'excuser. J'ai demandé au directeur d'être tiers dans notre affaire! Il la secoua sans autre justification. Je me retrouvais au milieu d'un grand bac à sable.

Le lendemain, elle vint s'excuser en continuant à marmonner des choses incompréhensibles.

Après les bavardes, les classiques bagarres où les mères participent oralement comme stratégie d'autodéfense.

J'en pouvais plus, je regrettais même les ados de l'atelier relais. Sérieusement!

Je me suis retrouvé dans un rôle de policier traquant les infractions. Il fallait que je trouve des outils, car sans outil l'architecte ne peut rien faire. Il peut dire mais ne rien faire. Car dire sans faire c'est creuser soi-même son trou dans le sable. Le pire quand j'ai lu que les lignes étaient interdites depuis un siècle, je suis devenu une Autruche la tête dans le sable.

Deux semaines passèrent.

Un matin je pris le cheval à une corne, j'écrivis au tableau: conseil de classe extraordinaire. Une heure de discussion sur la classe...Je sortis de mon chapeau les ceintures de compétences/comportement comme tiers entre eux et moi. J'ai fabriqué les étiquettes, les affiches après négociation des compétences et des métiers. On passe les ceintures chaque semaine en prenant en compte: le travail, l'attitude avec les autres, le comportement.On a décidé des sanctions. C'est pire que des lignes.

Par exemple, rien que ce matin, après que M. 10ans cogneur professionnel, leader de la classe, s'amusait a jeté une balle en mousse mouillée sur la tête des filles. Il fut directement critiqué au conseil. Sanction: expliquer sous forme d'exposé pour les enfants sont violents...On verra! Et surtout il doit écrire un texte expliquant son geste. Il était décomposé. La terreur se prit les pieds dans le sable!

D'autres aussi ont eu la même sableuse sanction. Creuser en eux pour dénicher le pourquoi de leur comportement. Nous avons décidé lors du conseil que ces actes devaient être expliqués par écrit. Je doute du travail rendu car il est difficile pour un enfant et même pour un adulte de poser des mots sur ses agissements. L'introspection est un long apprentissage...

  Une éclaircie apparue dans ce paysage désertique: Le « message clair ». Le message clair cher à Sylvain Connac dans son bouquin sur les pédagogies coopératives. A sa lecture je fus séduit, pas par Sylvain, non mais...Mais par ce qu'il propose. En fait, ce n'est pas lui mais une chercheuse qui trouve, elle est au Québec, l'autre pays de la pédagogie où tout marche si bien dans leurs livres. Cette D. Jasmin propose le « message clair » dans la gestion des conflits. C'est quoi ce truc, je m'en vais de ce pas ferme (c'est mieux sur du sable que sur la pointe des pieds) vous en expliquant le judicieux fonctionnement. Elle dit que ¾ des conflits des enfants peuvent être résolus ainsi...Ambitieuse. Les enfants Québécois doivent être super coopératifs! On verra avec les enfants de mon école.

Je vous laisserai méditer (toi aussi lecteur ou auditeur, tu ne dois pas assister passivement à ma litanie pédagogique de la rentrée).

  Je cite: 

1 - « Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir et je vais te faire un message clair. »

2 – « Quand tu … » La victime explique ce qui s’est passé.

3 – « Ça m’a … » Elle exprime avec des mots les émotions qu’elle a ressenties.

4 – « Est-ce que tu as compris ? » La victime demande au persécuteur si le message était bien clair et, par là même, s’il est d’accord pour ne plus recommencer voire s’excuser.

Un message clair se veut donc une rencontre non-violente entre deux personnes en conflit qui vont être amenées à se dire d’abord ce qui, dans les faits, a été la cause de la souffrance et ensuite les sentiments que ces faits ont produits (ce que ça fait dans les cœurs).

Lorsque celui qui est identifié comme le persécuteur accepte le message clair (« Oui j’ai compris », « Je m’excuse », « J’aurais pas dû te faire ça », …), le conflit est très souvent résolu et rapidement oublié. Lorsqu’en revanche, ce persécuteur refuse le message clair (« Je suis pas d’accord », « Oui mais toi tu m’avais fait ça », moqueries, rires, …), la victime est alors en droit de déposer une critique au conseil, lui demandant ainsi de trouver une solution ou même de solliciter un adulte pour tenter de régler le problème.

En fait après l'avoir fait sous forme de théâtre lors d'un conseil. Au début cela fut pris sous l'angle du jeu. Il faut toujours un angle pour commencer. Cela marche depuis une semaine. On verra. In cha Allah comme on dit.Comble du hasard, je me suis rappelé que je devais organiser le premier conseil d'enfant. Vous ne serez pas étonnés que le premier conseil concerna la violence et les conflits dans l'école... Le message arriva comme un éclair et fit le tour des classes tel une traînée de sable sous un souffle pédagogique.

  On verra si le sable cristallise et devient un diamant ou s'il s'effondre en morceaux!

On est vraiment au cœur de la vie dans une classe.

Othmane

Architecte au milieu d'architectes faisant des constructions d'eux-mêmes demandant le matos pour les construire. L'idéal serait de construire ensemble...Vieux rêve!

Rêvons!

  Lundi 5 octobre 2009.

 

 

Publié dans Textes personnels

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N
<br /> Merci pour ce très beau texte qui donne de tes nouvelles. Et je vois que malgré les énormes difficultés de la réalité à l'école tu te débrouilles du mieux possible. Bravo Othmane, accroche-toi.<br /> <br /> <br />
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